Article de Sarah Karabandra paru dans le magazine ‘O’
« Ce qui fonde le coeur d’une diaspora, c’est son langage. Et Mercépolis est au croisement des langues, elle a le coeur mobile » disait Lagaan Burdrucha dans son récent entretien avec Eveen Bedock sur M-radio. Son troisième roman qui paraît cette semaine aux éditions Du labile (347 pages, 32 couronnes mercépoliennes) semble être tout entier construit autour de cette relation essentielle, même charnelle ou organique à la langue, aux langues, devrait-on dire.
Noir de fumée est en effet une histoire qui s’articule dans le frottement du langage, de toutes ces langues européennes qui ont traversé l’histoire de Lagaan Burdrucha (1) et de Mercépolis. Les destins s’y croisent, s’y répondent, s’y interpellent sans cesse soumis à l’incompréhension. Ce sont les expériences de confrontation à une langue manquante, comme pourrait le noter Régine Robin (2) ou à l’inverse aux multiples sens que proposent : non seulement la polysémie, mais aussi le multilinguisme si spécifique à notre mégapole, qui creusent les écarts et les mésententes. Des portraits croisés, des destins qui se télescopent suivant le kaléidoscope troublant de l’erreur d’interprétation, de la fausseté, du mensonge ou du double sens. C’est un abîme qu’ouvre ce roman : l’abîme entre ce que l’on dit et de ce que l’autre entend.
Un fou de la fugue et La Femme oubliée traitaient déjà cette tension, mais ici, lorsque Bendon rencontre Leany ou lorsque le destin fait se croiser Candaa et Hopter, ce sont bien des origines, des lieux et par extension, des langues qui se mêlent. La parole incertaine et instable de l’amour devient tout l’enjeu des relations. Et peu à peu, les corps se frottent, se délitent jusqu’à n’être plus que ce langage qui les inscrit, que ces accents qui les verbalisent.
Noir de fumée est un grand roman, le roman d’un auteur désormais fortement inscrit dans le paysage littéraire de Mercépolis et de l’Europe. On peut retenir à cet égard sa sélection pour le prix International du roman moderne qui se déroulera cette année à Barcelone (3). Nous sommes en droit d’espérer voir là un texte qui saura représenter la vivacité, la créativité si spécifiques à notre ville.
(1) Pour mieux connaître cet auteur central de la nouvelle génération des écrivains mércépoliens, on se reportera au dossier qui lui est consacré dans le numéro de mai 2004 de Constances.
(2) Le Deuil de l’origine, Une langue en trop, la langue en moins. (PUV 1993)
(3) Pour l’édition de 2005, le prix ne sera remis en décembre, puisque le décès de Claude Simon qui devait présider le jury retarde de manière conséquente l’organisation.