Il y a dix ans, un Poète s’en allait…

« Arches rongées par la rouille qui s’épanche sur les pylônes au travers le silence médusé des ténèbres électriques,

Sous le drône lancinant des corps qui s’unissent & se perdent & s’unissent & se perdent encore dans les mansardes en clair-obscur,

Et les ombres frémissent contre les enseignes de néons & les ruelles absurdes & les pylônes meurtris & leurs promesses de félicité déglinguées par le va-et-vient d’autoroutes qui ne vont nulle part,

Et l’œil écarquillé, écartelé, ivre de métal dans le faisceau des phares bleutés, cherche en vain entre la peau et les machines de chair une arme contre la folie,

Et le dealer-prophète arpente, encore & encore, jusqu’à plus-faim – la sienne comme celle des Autres -, les sanglots de l’infini, jusqu’à conjurer la Terreur dans le grand cri-orgasme-sanglot des juke-boxes du Crépuscule de la Raison,

 

Où es-tu, Archange de la Nuit Hallucinée & de l’Extase Interdite ?

Où es-tu, Messager Tout-puissant des étreintes de verre & de métal ?

Où es-tu, Apôtre Illuminé du Sutra ironique qui hante les aubes négroïdes et chamarrées ?

Où es-tu, visage… Car je t’ai perdu le jour où j’ai perdu les plus grands esprits de ma Génération… »

 

(Aldon Bloomberg, « Aaaargh », Enlightened Skyline Press, 1958)

 

Ces vers ont certainement fait le tour du monde, depuis ce jour de 1958 où un jeune poète hirsute les déclama entièrement nu dans un kiosque de North Canaleta avant d’être arrêté par la Police Mercépolitaine pour obscénité et exhibition indécente sur la voie publique. Ce jour-là, le poète Aldon Bloomberg entrait dans la légende et emmenait avec lui toute une génération d’artistes et d’écrivains possédés par la même urgence et la même soif d’expériences. Le monde était en pleine glaciation et c’était le début de ce que l’Histoire retiendrait comme la Angry Generation… Après cela, bien sûr, viendraient le Rock, la contestation, l’Utopie, les grands rassemblements, les communautés, les projets de société et une ère d’espoir qui dure encore aujourd’hui; une Porte s’était ouverte.

Aldon Bloomberg, qui se définissait lui-même comme « le plus gaucho, le plus pédé et le plus camé des Mercépoliens du monde« , disparaissait il y a dix ans jour pour jour. Chapeau bas à un poète irremplaçable dont la voix est plus que jamais d’actualité.

Une réflexion sur « Il y a dix ans, un Poète s’en allait… »

  1. Je me souviens de ce triste jour. Aldon Bloomberg était passé de mode et son décès n’a pas fait la une des journaux. Pourtant il a eu tellement d’influence sur la jeune génération d’écrivains Mercépoliens des années 70 (Norman Chabada, Sirius White et Mercurio Balmoral en tête).

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